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Sylvain Lefevre, ONG & Cie. Mobiliser les gens, mobiliser l'argent

Joan Cortinas Muñoz
ONG & Cie
Sylvain Lefevre, ONG & Cie. Mobiliser les gens, mobiliser l'argent, PUF, coll. « Partage du savoir », 2011, 272 p., EAN : 9782130587910.
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Texte intégral

1ONG et Cie est un ouvrage issu d’une thèse en science politique à l’Université Lille 2 et publié grâce au Prix Le Monde de la Recherche Universitaire. Sylvain Lefèvre y résume, en 210 pages annexes comprises, les deux premières parties de sa thèse. Il y traite essentiellement du processus d’institutionnalisation du métier de fundraiser – recruteur de fonds – au sein des ONG françaises depuis 1960 jusqu’à nos jours. Plus concrètement l’auteur se propose de rendre compte de la genèse de l’introduction de techniques managériales du privé au sein d’un univers défini a priori par une logique militante plutôt que commerciale, à partir de l’étude des acteurs qui participent à ce processus. La manière dont l’introduction de ces techniques façonne le vécu de l’engagement militant n’a pas été incluse dans ce travail, bien que cet aspect soit traité dans la thèse.

2Pour mener à bien son objectif, Lefèvre s’appuie sur une enquête mobilisant de multiples techniques de recherche qui vont du travail d’archives à la réalisation d’entretiens, en passant par un travail d’enquête ethnographique au sein des différentes instances qui participent aux collectes de fonds de deux ONG en France – Greenpeace et Handicap International – : collecteurs de fonds au siège des ONG et recruteurs de rue. L’auteur situe son enquête au croisement de la sociologie de l’action collective et de la sociologie économique même si, à la lecture, apparaissent aussi des données et analyses qui pourraient également relever d’une sociologie du militantisme et de l’emploi.

3L‘ouvrage est divisé en deux grandes parties. La première est consacrée à l’introduction des techniques managériales, abordée par le biais de l’institutionnalisation du marketing direct comme forme de collecte de fonds au sein des ONG en France, depuis les années 1960. Dans cette partie il s’agit plutôt de comprendre comment s’est structuré le métier du fundraiser à partir de l’étude de ses introducteurs mais aussi d’appréhender leur place en termes symboliques – comment sont-ils perçus ? – et matériels – leur poids au sein de l’organisation en terme de participation aux décisions organisationnelles – au sein des ONG en question. La seconde partie s’intéresse à la pratique de la collecte de fonds à partir de l’observation des équipes de recruteurs de rue. Cette partie mobilise magistralement les outils de la sociologie interactionniste auxquels il ajoute les apports d’une sociologie plus attentive aux structures qui encadrent ces interactions – trajectoires biographiques, conditions matérielles d’exercice et vécu du métier, etc..

4Pour autant, le résultat de ce travail se décline en deux types de conclusions qui nous apparaissent d’intérêt scientifique inégal. Certaines de ces conclusions se distancient du terrain pour apporter des éléments de réflexion sur le caractère non linéaire des processus de managérialisation dans le secteur des ONG - on peut par ailleurs supposer que d’autres domaines sont concernés. Lefèvre montre en effet qu’il ne s’agit pas d’une transposition sans changements des techniques de management des entreprises privées vers le monde des ONG, mais que ces techniques sont transformées, adaptées et façonnées par les caractéristiques propres de l’univers dans lequel elles pénètrent. Ceci implique qu’elles sont l’objet de réappropriations différentielles selon la période, les acteurs et le contexte. Mais elles sont aussi soumises à des tensions et contradictions qui les façonnent à leur tour. Selon l’auteur, dans le cas des ONG l’importation de ces techniques exige qu’elles soient rendues compatibles avec les logiques d’engagement militant propres à cet univers.

5L’autre type de conclusions porte sur les stratégies organisationnelles des ONG, présentées comme fortement dépendantes des pratiques des fundraisers. La collecte de fonds et sa logique influencerait les décisions stratégiques des ONG en ce qui concerne le type de projets à entreprendre. Cette hypothèse, bien que très intéressante, ne nous semble pas pleinement vérifiable à la lecture de l’ouvrage, l’auteur n’apportant pas suffisamment d’éléments permettant de l’alimenter. En outre, l’auteur pointe l’idée que la collecte de fonds par les ONG, telle qu’elle est pratiquée, encouragerait l’émergence d’une figure du citoyen passif, dont la participation à la société civile se limiterait au don pécuniaire. Si ceci apparaît pertinent dans les démonstrations proposées par l’auteur dans le cas des ONG étudiées, la généralisation de cette hypothèse à l’ensemble des organisations constituant la société civile, d’autant plus lorsqu’elles ne fonctionnent pas selon les mêmes principes, semble excessive.

6Malgré ces remarques, l’ouvrage est un bel apport à la compréhension des phénomènes contemporains de redéfinition des frontières entre emploi-militantisme, société civile-marché et d’autres dichotomies ébranlées entre autres par les logiques qu’il décrit.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Joan Cortinas Muñoz, « Sylvain Lefevre, ONG & Cie. Mobiliser les gens, mobiliser l'argent », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 05 mai 2011, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/5252 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.5252

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Rédacteur

Joan Cortinas Muñoz

Docteur en Sociologie. Associé à l'équipe CSU-CRESPPA UMR 7217

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