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Pascale Desrumaux, Le harcèlement moral au travail. Réponses psychosociales, organisationnelles et cliniques

Jean-François Blanchard
Le harcèlement moral au travail
Pascale Desrumaux, Le harcèlement moral au travail. Réponses psychosociales, organisationnelles et cliniques, Presses universitaires de Rennes, coll. « Psychologies », 2011, 235 p., EAN : 9782753512962.
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Texte intégral

1La médiatisation fréquente d’évènements graves résultant de traumatismes psychologiques en lien avec l’environnement professionnel atteste de l’acuité du sujet étudié par Pascale Desrumeaux, professeur de psychosociologie : « le harcèlement moral au travail ». Les statistiques des victimes de la souffrance au travail la confirment. Cet ouvrage se propose de nous aider à mieux en connaître et comprendre les formes complexes et d’apparence contradictoires pour prévenir et développer les réponses adaptées. Ce nouveau risque professionnel, est le produit de notre société post-moderne où le tertiaire s’est développé, où les organisations de travail connaissent le flux tendu, où la valeur travail est remise en cause, bref où les formes de pression au travail se sont accrues. Ces situations sont complexes dans la mesure où les perceptions et les jugements des protagonistes actifs ou passifs sont ambivalents et ne se résument pas à la dénonciation d’un coupable et l’aide à apporter à une victime. Caractériser le phénomène sous tous les angles d’approche possibles (causes, symptômes, attitudes, conséquences…), et l’appréhender de l’intérieur, en investissant la psychologie des acteurs (harceleurs, victimes, témoins) et les contextes organisationnels permissifs sont les préalables nécessaires à une action pertinente. Un corpus exhaustif des enquêtes et études réalisées sur le sujet nous est proposé, étayé par une bibliographie à la mesure (14 pages). Des annexes pratiques complètent l’ensemble. L’aspect juridique est traité de façon synthétique en quelques pages (un chapitre court et une annexe), mais le livre répond par ailleurs à la question fondamentale : comment caractériser les faits ? Les « bonnes pratiques » de management de ressources humaines qui relèvent de la prévention des risques psychosociaux ne sont pas sont pas approfondies, mais elles apparaissent en filigrane.

  • 1 Brodsky, G., The harassed worker, Lexington, MA D.C.Heath and Co, 1976.
  • 2 Leymann, H., Mobbing. La persécution au travail, Paris, Le Seuil, 1996.
  • 3 Hirigoyen, M.F., Le harcèlement moral. La violence perverse au quotidien, Paris, La Découverte et S (...)

2La genèse du harcèlement moral au travail en temps qu’objet de recherche en psychologie sociale remonte aux travaux de Brodsky (1976)1 sur le harassed worker, ceux de H. Leymann (1996)2 en Suède et de Hirigoyen (1998)3 en France .

3L’article L 122-49 du Code du Travail peut être invoqué lorsque des «  agissements répétés de harcèlement moral ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits du salarié et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou morale et de compromettre son avenir professionnel » Le harcèlement moral appartient au champ des comportements antisociaux au travail (CAAT) selon la conception nord américaine.

  • 4 Grenier-Pezé, M., Contrainte par corps : le harcèlement moral, Travail, Genre et Sociétés, 5, 2001, (...)
  • 5 Hirigoyen, M.F., Malaise dans le travail. Harcèlement moral, démêler le vrai du faux, Paris, La Déc (...)

4Une première partie de l’ouvrage (chapitres 1 à 5) caractérise l’objet et ses facteurs de prévalence à travers différentes études complémentaires mettant chacune l’accent sur des aspects différents tels que les exigences du travail, la charge émotionnelle, la plus ou moins grande autonomie et les marges de manoeuvre, les rapports sociaux et les relations de travail, les conflits de valeur, l’environnement socio-économique. Selon les auteurs, les définitions mettent l’accent sur l’un ou l’autre des éléments : la répétition, la gravité, les résultats (syndromes cliniques), le rôle prééminent de l’organisation, les procédés. M.Grenier-Pezé (2001)4 pointe l’atteinte psychologique à la valeur travail, ce lien psychologique que le salarié entretient avec son entreprise. M.F. Hirigoyen (2001)5 a souligné que l’ignorance entretenue, le silence de l’organisation constituent un facteur aggravant. Les différentes étapes successives du processus sont identifiées : conflit, isolement et personnification, hostilité du service du personnel, exclusion, le tout se déroulant avec un jeu d’interactions entre l’auteur, la victime et l’organisation. Les victimes présentent fréquemment une position de fragilité ou d’infériorité, dans le contexte professionnel, liée à l’age, au sexe, au caractère, au statut. Quant aux traits psychologiques des harceleurs, ils ont pu être repérés par leur occurrence. M.F. Hirigoyen évoque le « pervers narcissique qui établit avec autrui des relations fondées sur des rapports de force et de manipulation »

5La seconde partie du livre de P. Desrumeaux (chapitres 6 à 9) constitue une analyse psychosociologique du harcèlement moral, en tentant d’apporter une réponse aux « pourquoi ? » de ces comportements paradoxaux, et en particulier les mécaniques de déni, de dissimulation, de culpabilisation de la victime. La théorie du monde juste intériorisée (Lerner 1980) dévalorise la victime par le seul fait de sa situation de victime. l’ « erreur fondamentale d’attribution » met en avant les prédispositions de la victime, les facteurs personnels. Dans le même ordre les travaux de Jellison et Green tendant à montrer que les individus privilégient en premier lieu les explications internes par rapport aux explications externes dans les stratégies de représentation de soi. Les causes organisationnelles du harcèlement moral sont analysées dans le chapitre 7. Un management directif, autocratique, très axé sur la production et peu sur les relations humaines est un facteur causal. Au même titre que l’organisation du travail, en lien avec le type d’activité, la définition floue des fonctions, sans omettre le contexte affectif. La relation de pouvoir – et ses dérives – est traitée avec notamment les travaux de Milgram et son concept d’état agentique qui fait du subordonné l‘agent exécutif de la volonté d’autrui. La présentation des recherches de T. de Sainsaulieu vient rappeler les enjeux du procès de socialisation secondaire lié à l’expérience des relations de pouvoir dans les organisations qui constitue le terreau des phénomènes de violence légitime dans l’entreprise. A côté des individus, le contexte organisationnel, et les valeurs sociétales sont abordées dans le chapitre 8. L’auteur note la baisse des solidarités et la montée de l’individualisme et une forme de banalisation de l‘injustice. Le chapitre 9 porte sur une recherche sur le contenu des jugements émis sur des bases de tolérance, de passivité et d’acceptation, et permet d’en appréhender la logique interne pour user des bons leviers d’action. Le recours à un tiers extérieur apparaît également nécessaire.

6La troisième partie porte sur les conséquences (chapitres 10 à 15). Celles-ci sont généralement désastreuses pour l’organisation et pour le salarié, et pas toujours récupérables pour ce dernier, victime d’un traumatisme psychologique. Les états cliniques sont décrits : alerte, décompensation, stress post-traumatique. Angoisse et dépression caractérisent la symptomatologie. Les phases évolutives sont le silence, la solitude, la souffrance et au pire le suicide. L’impossibilité de rémission et de réintégration dans le milieu professionnel vient aggraver le coût social. La mobilisation des ressources individuelles fait l’objet du chapitre 11. L’auteur préconise le développement de la prosocialité au travail (ensemble de comportements destinés à aider autrui sans chercher un intérêt particulier et un climat de justice dans l’organisation facilitant l’expression (instances internes). Les appuis psychologiques pour le salarié sont la résilience, le déni, l’évasion, l’humour, la distanciation, l’intellectualisation, la protection auprès d’un tiers. Le chapitre 13 présente les actions de prévention en trois niveaux : primaire (éliminer les facteurs de risque) secondaire (aider les salariés confrontés au risque) tertiaire (prise en charge des victimes). Le rôle des psychologues du travail est souligné, ainsi que celui des acteurs et instances internes à l’entreprise appelés à travailler de façon concertée sur les conduites à tenir. Enfin le chapitre 14 décrit les formes du soutien au salarié — sans victimisation — appelé à mettre en mots sa souffrance, l’incitation au respect au sein de l’organisation, les soutiens émotionnel, psychothérapeutique autour d’une relation d’aide.

7L’ouvrage nous place au cœur de l’humain et des organisations de travail, et s’efforce d’en analyser la complexité de façon réaliste. Il a le grand mérite de rappeler la place centrale des relations humaines dans l’efficience des organisations et la nécessité de politiques d’entreprise de prévention des risques psychosociaux qui ne soient pas des alibis où des façades.

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Notes

1 Brodsky, G., The harassed worker, Lexington, MA D.C.Heath and Co, 1976.

2 Leymann, H., Mobbing. La persécution au travail, Paris, Le Seuil, 1996.

3 Hirigoyen, M.F., Le harcèlement moral. La violence perverse au quotidien, Paris, La Découverte et Syros, 1998.

4 Grenier-Pezé, M., Contrainte par corps : le harcèlement moral, Travail, Genre et Sociétés, 5, 2001, p.29-41.

5 Hirigoyen, M.F., Malaise dans le travail. Harcèlement moral, démêler le vrai du faux, Paris, La Découverte et Syros, 2001.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-François Blanchard, « Pascale Desrumaux, Le harcèlement moral au travail. Réponses psychosociales, organisationnelles et cliniques », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 06 mai 2011, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/5255 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.5255

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