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Olivier Beaud, Alain Caillé, Pierre Encrenaz, Marcel Gauchet, François Vatin, Refonder l'université. Pourquoi l'enseignement supérieur reste à reconstruire

Matthieu Hély
Refonder l'université
Olivier Beaud, Alain Caillé, Pierre Encrenaz, Marcel Gauchet, François Vatin, Refonder l'université. Pourquoi l'enseignement supérieur reste à reconstruire, La Découverte, coll. « cahiers libres », 2010, 274 p., EAN : 9782707166463.

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Notes de la rédaction

Note de la rédaction : Alain Caillé, un des auteurs de cette publication, a souhaité répondre à l'auteur de ce compte rendu. Vous pouvez découvrir cette réponse à l'adresse suivante : [http://www.liens-socio.org/Refonder-l-Universite-Pourquoi-l-6936]

Texte intégral

1Près de deux ans après, quatre professeurs, dont deux en sociologie en poste dans la même université, reviennent sur la thématique, récurrente depuis 1968, de la « crise » de l'université, en proposant une analyse des ressorts du mouvement universitaire, non pas contre la « libertés et responsabilités des universités » (dite « LRU ») comme l'écrivent les auteurs, mais contre le décret réformant les carrières des enseignants-chercheurs1. En effet, l'ouvrage démarre sur un point très discutable : la mobilisation inédite des universitaires de 2009 aurait incarné un mouvement de protestation contre la loi « LRU ». Poser le problème en ces termes revient à occulter le mouvement, majoritairement porté par les étudiants, qui ont été les premiers à contester les effets de cette réforme dès la rentrée universitaire de 2007. Pour mémoire, rappelons que le soutien des enseignants à ce mouvement avait été plus que timide. A l'époque, le politiste Olivier Ihl le 29 novembre 2007 n'avait pas hésité à exprimer sa condamnation des blocages étudiants à coups de barre de fer2. D'autres, qui afficheront par la suite une opposition radicale à la LRU, n'hésiteront pas à disqualifier les blocages des universités organisés par les étudiants en prenant la plume par voie de presse3. Sur le campus de Nanterre, le blocage du bâtiment de droit et des sciences politiques a débouché sur l'intervention des CRS, avec l'accord de la présidence de l'université de l'époque, ce qui n'était pas arrivé depuis 19684

2Dans ces conditions, on ne s'étonnera pas que le mouvement universitaire, qui démarre officiellement le 2 février 2009, ait peiné à obtenir l'adhésion des étudiants, désabusés face à la prise de conscience, bien tardive parmi les enseignants, des effets de l'autonomie sur les pratiques de gestion des établissements. Faire débuter le « mouvement », comme le font les auteurs, le 22 janvier 2009 (cf. p.75) procède d'une relecture très discutable des événements.

3On peut comprendre que l'ouvrage insiste, à des fins rhétoriques, sur la situation désastreuse qui caractérise l'université aujourd'hui. Il est d'ailleurs difficile de soutenir un point de vue antagoniste. Néanmoins, si l'ouvrage met le doigt sur de véritables « tabous », comme la domination des grandes écoles ou la sélection « qui ne dit pas son nom » en premier cycle universitaire, le propos est tellement radical qu'il pose les solutions avancées comme les seules envisageables et réalistes. Or, de nombreux points sont passés sous silence ou balayés sans être véritablement discutés. Ce ton, qui peut-être perçu comme de l'arrogance pour certains lecteurs, empêche d'adhérer pleinement à certaines analyses, par ailleurs instructives et lucides, de la situation inquiétante où se trouve l'université aujourd'hui. Difficile donc pour un ouvrage, oscillant en permanence entre le pamphlet polémique et l'analyse rigoureuse, de susciter un débat, pourtant nécessaire. On ne peut que le regretter car certaines des contributions réunies éclairent très utilement la situation actuelle du monde universitaire.

4L'ouvrage s'organise en trois parties : un retour sur les forces et faiblesses du « mouvement des universitaires » de 2009, une analyse des transformations récentes du système d'enseignement supérieur sous l'angle de sa « massification » et de sa dualisation ségrégative entre universités et grandes écoles. Et enfin, un plaidoyer pour une « réforme programmatique » de l'université ET de l'enseignement supérieur.

5Les apports de l'ouvrage

  • 5 Voir « Universités et grandes écoles », Problèmes politiques et sociaux, n°936, mai 2007.
  • 6 « Coût de l'éducation en 2008. Evaluation provisoire du compte », Note d'information de la DEPP, 10 (...)

6L'intérêt principal de l'ouvrage est de repositionner le débat sur l'université à l'échelle qu'il conviendrait d'adopter pour une réforme en profondeur du système d'enseignement supérieur. Il est pour le moins paradoxal de prétendre réformer l'enseignement supérieur sans rien changer à l'organisation des établissements du supérieur dits « sélectifs » : classes préparatoires, sections de techniciens supérieurs, IUT et écoles professionnelles privées. On ne peut donc qu'approuver les auteurs lorsqu'ils soulignent la nécessité de « modifier en profondeur l'ensemble du dispositif de régulation de l'enseignement supérieur, en arrêtant de faire comme si on pouvait réformer l'université de façon isolée, sans prendre en considération le champ dans lequel elle s'inscrit » (p.105). En ce sens, la proposition appelant à la constitution d'un « grand service public propédeutique » réunissant IUT, BTS, classes préparatoires et premier cycle universitaire serait cohérente avec la remise en cause d'un système qui profite doublement aux plus privilégiés : d'abord parce qu'ils ont statistiquement plus de chances d'y accéder5 , mais de plus, parce qu'ils bénéficient d'un effort plus important de la collectivité pour supporter le coût de leurs études (la dépense publique par étudiant était de 9000 euros pour l'université contre 14 510 euros pour les CPGE en 20086).

7L'autre apport substantiel de l'ouvrage est évoqué dès le premier chapitre, puis repris dans le dernier chapitre intitulé «  De la sélection à l'orientation : le verrou du premier cycle d'enseignement supérieur », qui propose une analyse tout à fait éclairante des effets de la réforme LMD : les auteurs rappellent en effet que, depuis le décret du 17 mars 1808 organisant l'université impériale, cette dernière dispose du « monopole de la collation des grades ». Ces trois grades étant le baccalauréat, la licence et le doctorat. De fait, le prestige de l'université s'est construit sur le fait qu'elle était la seule institution légitime pour délivrer ces titres. Le décret du 15 avril 2002 ayant ouvert aux institutions d'enseignement supérieur privées l'habilitation pour délivrer ces titres, a introduit « le loup dans la bergerie ». Privée de son monopole historique de distribuer des diplômes, l'institution universitaire se trouve de fait en situation de concurrence déloyale avec les écoles de commerce et de gestion, comme c'est le cas également du « pôle universitaire Léonard de Vinci »7, situé à proximité de l'Université Paris Ouest Nanterre, dont les diplômés sont en droit d'invoquer leurs titres pour accéder de droit aux cursus universitaires (sous réserve de réussite aux examens).

  • 8 « Auto-sélection » d'une certaine manière fonctionnelle car, sans ce processus, l'université n'aura (...)

8Enfin, les auteurs adoptent une position courageuse sur la sélection à l'entrée en Master. Prenant acte de l'existence d'une sélection sociale qui ne dit pas son nom (même si les auteurs n'insistent pas suffisamment sur l'existence d'une véritable « auto-sélection » intériorisée par les étudiants8 ainsi que sur les effets du travail salarié des étudiants sur leur réussite aux examens), ils se déclarent favorables à une sélection assumée dès l'entrée au niveau Master. On peut effectivement s'interroger sur le phénomène d'étudiants de niveau moyen, refoulés de l'entrée des M2, qui se réinscrivent en M1 dans le cadre d'une « stratégie d'attente », préjudiciable au final à tout le monde.

9Les silences de l'ouvrage

  • 9 Editions Tallandier, 2005.
  • 10 Dans l'esprit des refondateurs, l'enseignant-chercheur serait donc d'une « nature particulière ». L (...)

10Le mouvement universitaire de 2009 avait des précédents. Les auteurs ont-ils déjà oublié la colère des jeunes chercheurs, majoritairement en sciences de la vie, de la fin de l'année 2003, la démission administrative symbolique des directeurs d'unité le 9 mars 2004 ? Pas un mot sur cet épisode récent qui témoigne de la dégradation profonde du système d'enseignement supérieur et de recherche en France. Proposer la suppression du statut de chercheur à temps plein en sciences humaines (on se demande d'ailleurs pourquoi seulement dans ce domaine) comme la proposition n°7 des « refondateurs » en fait état aurait nécessité, au minimum, de discuter les réflexions publié en 2005 sous le titre Les états généraux de la recherche9. Le livre ne propose d'ailleurs aucune réflexion, ni position, sur le métier d'enseignant-chercheur alors qu'il est en pleine mutation. On est frappé de l'absence de débats avec les réflexions syndicales sur la question. Cette faiblesse se traduit dès l'introduction dans la note n°16 où les refondateurs affirment que, par nature, les universitaires ne pourraient se déclarer « en grève », « car leur activité professionnelle ne peut être dissociée de leur vie privée, en termes notamment de gestion du temps ». Rappelons que le droit de grève est constitutionnellement garanti aux agents de l'Etat en vertu du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et que les enseignants-chercheurs sont nommés dans des corps de la fonction publique d'Etat. Si l'exercice effectif du droit de grève des enseignants-chercheurs se heurte aux conditions délicates du recensement de leur absence par l'administration (qui dans ce cas est très souvent incarnée par un collègue au poste de directeur d'UFR), rien ne permet d'écrire, comme le font pourtant les refondateurs, qu'un enseignant-chercheur ne pourrait pas, « du fait de sa nature »10, se déclarer « en grève ». Outre cette référence aux conditions d'exercice du métier, l'ouvrage met également en évidence la dégradation du traitement versé aux maîtres de conférences en début de carrière : si rien ne change, les auteurs notent qu'en 2025, un maître de conférence débutant sera rémunéré l'équivalent d'un SMIC. On aurait aimé ici une réflexion sur les « chaires d'excellence », comme celle publiée en sociologie par l'université de St Quentin en Yvelines le 18 décembre 2009. Faut-il y voir une piste à suivre, selon les refondateurs, pour la revalorisation des carrières des enseignants-chercheurs ? Ce sera ici la seule et unique référence au statut des enseignants-chercheurs. Faiblesse de taille, car il semble particulièrement difficile de lancer la « refondation de l'université » si l'on ne sait pas quel statut donner à ses enseignants...

11A l'heure où les étudiants anglais protestent contre l'augmentation des droits d'inscription, l'ouvrage reste centré à un niveau franco-français et tranche, sans plus de discussion, en faveur d'un financement des études supérieures sur prêt bancaire : « le meilleur remède [contre la précarité économique des étudiants] réside sans doute dans l'octroi inconditionnel d'un capital-études, joint à des possibilités d'emprunt pour tous les étudiants entrant dans un cycle de master. Ce capital pourrait permettre de financer des études, éventuellement en payant des droits d'inscription plus élevés que ceux actuellement en vigueur. Cette mesure aurait le double intérêt de remédier à la misère de la jeunesse et de contribuer à une autonomisation effective des universités » écrivent les refondateurs (p.173). Prôner, sans plus de discussion, l'asservissement à vie de la jeunesse au moment où le système financier a fait la preuve de son instabilité sur le long terme, laisse dubitatif. On ne peut qu'inviter les refondateurs à consulter les travaux actuels menés notamment par certains chercheurs sur la question : « 80% des étudiants ont contracté un prêt auprès de la Student loan compagny (SLC) avec des taux d'intérêt à hauteur de l'inflation. Depuis 2006-2007, les frais d'inscription s'élèvent à 3000£ maximum pour tous les étudiants. Le montant des prêts pour frais d'inscription est de 3000£ par an et les prêts pour frais d'entretien de 4000£. Un étudiant ayant obtenu son bachelor a en moyenne 21 000£ de dettes à rembourser »11.

12L'autre point aveugle de l'ouvrage est bien évidemment le changement radical, sur les conditions d'accès et d'exercice du métier d'enseignant-chercheur, induit par la loi « libertés et responsabilités des universités » et son stade ultime : le passage aux compétences élargies. Les effets délétères du recrutement « au fil de l'eau », ont en effet été introduits par la suppression de la publication des postes de maîtres de conférences et de professeurs d'université au journal officiel. Ils conduisent à la disparition progressive de la « saisonnalité » des recrutements et laissent les candidats suspendus à leur messagerie électronique, guettant la publication hypothèse d'un poste. Pas un mot non plus sur les conséquences du point de vue des pratiques de recrutement universitaire : les comités de sélection, du fait de leur taille restreinte, favorisent les « arrangements » les plus divers. Rien non plus sur les modes de gestion de l'emploi des universités qui peuvent désormais recruter des enseignants-chercheurs pour une durée limitée. Des annonces d'embauche en CDD de droit public commencent à circuler sur les listes électroniques de diffusion proposant un service complet de maître de conférences pour un salaire équivalent au 1er échelon d'un titulaire (autour de 1 700 euros nets pour un docteur) sans perspective de renouvellement. Or, on ne peut manquer de pointer l'impact de ces pratiques de recrutement sur la qualité des enseignements délivrés. Tout enseignant-chercheur sait en effet le travail important que nécessite la préparation d'un cours magistral : élaboration d'un plan général et des notions clefs, choix des textes à étudier en groupes de TD, recrutement et coordination des chargés de TD, etc. Bref, un enseignement de qualité nécessite du temps, ce qui est contradictoire avec des recrutements sur CDD d'un an. Cela est d'autant plus vrai que, rappelons le, la formation doctorale ne propose, sauf pour les docteurs ayant occupé un emploi de moniteur, aucune préparation pédagogique à l'enseignement universitaire.

  • 12 « Refonder l'Université Française : notre défi commun », Le monde, 18 mai 2009.
  • 13 « Le premier palmarès des universités », Le figaro, 15 octobre 2010.

13L'article de Valérie Pécresse, répondant à l'appel des « refondateurs », se terminait sur le constat suivant : « la loi de 2007 pose les fondements d'une autonomie qui s'exprime tout autant sur le plan scientifique que sur celui de la gestion. Il est vain d'opposer gestion et science. La première est évidemment au service de la seconde. »12. Deux ans plus tard, Madame Précresse, toujours Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, annonce fièrement la publication en ligne du premier palmarès des universités classées selon le taux d'insertion professionnelle des étudiants à la sortie du master13. Une analyse critique de la rhétorique gestionnaire, nourrie des travaux autour du New Public Management et de ses usages, reste donc à écrire. Le livre des refondateurs avance des positions dans le débat public et introduit un débat nécessaire débat, ce qui n'est pas rien. Mais d'un point de vue analytique, il ne permet pas de faire le tour de la question. En outre, les refondateurs laissent au lecteur l'idée fausse que la seule alternative serait de singer les grandes écoles pour sortir la tête de l'eau, comme d'autres, dans les laboratoires, en appellent à jouer le jeu de l'excellence pour ne pas couler. Alternative qui apparaît au final bien peu convaincante pour prétendre réellement « refonder l'université ».

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Notes

1 Décret n°2009-462 adopté en 23 avril 2009.

2 http://www.youtube.com/watch?v=T6yLomO6noE&feature=related

3 Christophe Ramaux, « Blocages mortifères », Le monde, 29 novembre 2007.

4 Intervention qui s'était déroulée sous les encouragements d'une fraction des étudiants massés devant l'entrée du bâtiment scandant : « Allez les bleus, allez les bleus ! ».

5 Voir « Universités et grandes écoles », Problèmes politiques et sociaux, n°936, mai 2007.

6 « Coût de l'éducation en 2008. Evaluation provisoire du compte », Note d'information de la DEPP, 10.01, janvier 2010.

7 http://www.devinci.fr/formations/accueil.1.html

8 « Auto-sélection » d'une certaine manière fonctionnelle car, sans ce processus, l'université n'aurait pas les moyens d'accueillir les effectifs qui s'y présentent. Sur ce phénomène, voir notamment l'article d'Alexandra Filhon, « La première année en filière administration économique et sociale : motivations, abandons et attentes des étudiants », Formation Emploi, 2010/3 (n° 111), p.19-33.

9 Editions Tallandier, 2005.

10 Dans l'esprit des refondateurs, l'enseignant-chercheur serait donc d'une « nature particulière ». L'expression, dans la plume de sociologues rappelons le, n'en finit pas de surprendre.

11 Voir les travaux d'Aurélien Casta, doctorant à l'IDHE-CNRS : http://www.educpros.fr/detail-article/h/81f12dda42/a/aurelien-casta-laureat-de-love-en-angleterre-un-etudiant-ayant-obtenu-son-bachelor-doit.html

12 « Refonder l'Université Française : notre défi commun », Le monde, 18 mai 2009.

13 « Le premier palmarès des universités », Le figaro, 15 octobre 2010.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Matthieu Hély, « Olivier Beaud, Alain Caillé, Pierre Encrenaz, Marcel Gauchet, François Vatin, Refonder l'université. Pourquoi l'enseignement supérieur reste à reconstruire », Lectures [En ligne], Les notes critiques, mis en ligne le 14 décembre 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/1361 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.1361

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Rédacteur

Matthieu Hély

Maître de conférences en sociologie, Université Paris Ouest Nanterre et chercheur à l'IDHE CNRS. Il est également membre de l'association des sociologues enseignant-e-s du supérieur (ASES)

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