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Ilsen About, Vincent Denis, Histoire de l'identification des personnes

Igor Moullier
Histoire de l'identification des personnes
Ilsen About, Vincent Denis, Histoire de l'identification des personnes, La Découverte, coll. « Repères Histoire », 2010, 125 p., EAN : 9782707159007.
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Texte intégral

1L'identification des personnes est-elle un sujet méritant de figurer parmi les synthèses de la collection « Repères » des éditions La Découverte ? Deux historiens, Ilsen About et Vincent Denis, relèvent le pari, en s'appuyant sur les recherches menées depuis une dizaine d'années par historiens et sociologues sur la construction des savoirs administratifs relatifs à l'identité des personnes, dont on peut synthétiser les résultats en une proposition : il n'y a pas d'identité, il n'y a que des processus d'identification.

2Les auteurs procèdent chronologiquement, ce qui permet de voir, d'une manière très foucaldienne, comment une série de dispositifs techniques convergent pour former un savoir d'État cohérent : l'identification des personnes. Trois matrices apparaissent : les passeports, laissez-passer, accordés par une autorité, qui peut être seigneuriale, ecclésiastique ou politique, pour permettre à un voyageur de traverser librement un territoire, les registres d'état-civil, de baptême et de mariage, dans un premier temps tenus par l'Eglise, et les documents fiscaux enfin : cadastre, rôles de taille, etc. Dispersées, ces techniques d'identification connaissent une première coalescence au 18e siècle, comme l'ont bien montré les travaux de Vincent Denis (Une histoire de l'identité 1715-1815, Champ Vallon, 2008). La montée de l'inquiétude face à la mobilité de certaines catégories sociales perçues comme dangereuses : soldats démobilisés, pauvres et vagabonds, malades porteurs de la peste et autres épidémies, amène les agents de l'État à essayer de centraliser et perfectionner les techniques d'identification, afin de pouvoir contrôler la mobilité des populations. La Révolution française va amplifier l'usage des passeports et autres certificats de civisme pour démasquer les « suspects » et autres ennemis d'État. Tout le 19e siècle poursuit dans cette direction, en cherchant à mobiliser les nouvelles sciences de l'homme. Tant que l'identification des personnes repose sur des descriptions verbales, elle est en effet faillible. Grâce à l'anthropologie, le corps va pouvoir être saisi peu à peu de manière plus fiable dans les documents administratifs.

3Les documents d'identification forment encore une mosaïque fragmentée : livret ouvrier, livret militaire, permis de chasse, etc. Il faut un contexte particulier pour que l'État-nation se saisisse de ces techniques : celui du développement industriel et de la crise économique de la fin du 19e siècle, qui amène l'État à vouloir mieux contrôler les populations ouvrières circulant entre France du Nord et Belgique. L'un des enjeux est de contrôler l'accès aux prestations sociales, l'autre de mieux protéger les travailleurs « nationaux » contre la concurrence de la main d'œuvre étrangère. Comme l'ont montré les travaux de Gérard Noiriel, c'est d'abord pour des raisons économiques que la IIIe République est amenée à généraliser l'usage de la carte d'identité.

4La démarche historique de l'ouvrage met en évidence un certain nombre de permanences, par exemple dans la manière dont les procédés d'identification sont d'abord utilisés sur certaines minorités avant d'être généralisées. Ainsi, l'anthropométrie s'élabore au 19e siècle pour ficher et contrôler les criminels, avant de servir de bases aux signalements utilisés pour la carte d'identité. Le 20e siècle se caractérise par deux facteurs nouveaux. L'ampleur des populations concernées d'abord : la police parisienne possédait des renseignements sur quelques dizaines de milliers d'individus au 18e siècle, sur plusieurs millions à la veille de la Première Guerre Mondiale. Les technologies de stockages de l'information viennent ainsi prolonger et amplifier l'usage des techniques de reconnaissance et d'identification. L'autre trait marquant du 20e siècle est le ciblage de plus en plus fréquent des étrangers : les techniques d'identification permettent de définir et d'enregistrer les détenteurs d'une identité « nationale », au détriment des populations exogènes, dont les espaces de liberté se restreignent.

5Le principal reproche que l'on pourrait adresser à ce livre est de céder à la tentation des manuels et de proposer une histoire de l'identification « des origines à nos jours », en faisant remonter les processus d'identification au Moyen-Âge. Les habits, le sceau, les armoiries peuvent remplir un rôle de marqueur social, mais ils ne sont pas dépositaires d'information sur les aspects physiques de la personne. Les armoiries par exemple sont davantage une extension de la personne, une symbolisation de cette identité. La fin de l'époque moderne représente bien une rupture, en liant l'identité aux données biologiques. S'enclenche alors une dynamique qui permet à l'État de construire un pouvoir de surveillance et de contrôle des individus en capitalisant sur l'accumulation de savoirs et de techniques qui permettent une identification de plus en plus précise. Ce n'est pas le moindre mérite de l'ouvrage de montrer comment une histoire concrète des pratiques de l'État permet d'éclairer la question, encore aujourd'hui brûlante, des modes de constructions de nos identités sociales et nationales.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Igor Moullier, « Ilsen About, Vincent Denis, Histoire de l'identification des personnes », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 21 juillet 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/1089 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.1089

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Rédacteur

Igor Moullier

Maître de conférences en histoire à l'ENS de Lyon

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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