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Terry Shinn, Pascal Ragouet, Controverses sur la science. Pour une sociologie transversaliste de l'activité scientifique

Mathieu Quet
Controverses sur la science
Terry Shinn, Pascal Ragouet, Controverses sur la science. Pour une sociologie transversaliste de l'activité scientifique, Raisons d'agir, coll. « Cours et travaux », 2005, 237 p., EAN : 9782912107237.
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Notes de la rédaction

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Texte intégral

1Le projet de l'ouvrage de Terry Shinn et Pascal Ragouet est double. Il s'agit, d'une part, de présenter les travaux menés en sociologie des sciences depuis les années 1940 et, d'autre part, de proposer un modèle qui permette d'affranchir l'analyse des limites posées par les théories actuelles. Dans cette perspective, le livre est divisé en trois parties : la première revient sur le courant mertonien de sociologie des sciences, la deuxième aborde de façon critique les thèses nées de l'opposition à ce courant, et la dernière partie élabore la possibilité d'une troisième voie de recherche : l'approche « transversaliste » défendue par Shinn et Ragouet.

2Le premier chapitre présente les travaux de Merton, considérés comme fondateurs du champ de la sociologie des sciences. Merton étudie notamment l'importance de la formation de communautés scientifiques, telles que les académies des sciences, et de systèmes symboliques de rétribution dans le développement de l'activité scientifique. Il éclaire ainsi les conditions sociales et institutionnelles de développement de cette pratique. Mais la sociologie mertonienne reste profondément « différenciationniste » : elle pose la science comme fondamentalement différente des autres activités de connaissance. Par conséquent, l'approche mertonienne se refuse à analyser le contenu cognitif des sciences, abandonnant cette tâche à l'épistémologie. De même, les sociologues de cette mouvance s'intéressent peu à la dépendance de la science par rapport aux autres champs sociaux. Il faudra attendre les théories de Kuhn sur la notion de paradigme pour que des sociologues commencent à analyser l'impact des facteurs sociaux externes sur le développement du savoir scientifique.

3Le deuxième chapitre analyse de façon critique les théories nées en réaction au différenciationnisme. A partir des années 1970, les approches qui tentent d'analyser le « contenu » des sciences et l'évolution de la pensée scientifique à l'aide de facteurs sociaux vont se multiplier, et la démarcation entre épistémologie et sociologie des sciences est mise en question. Pour les auteurs de la « nouvelle » sociologie des sciences (NSS), le procès d'élaboration du savoir scientifique s'explique entièrement au moyen de facteurs culturels et sociaux. De plus, le champ scientifique n'a pas de limites stables, et il est en interactions constantes avec d'autres champs sociaux qui influent sur son développement. Ce mouvement d'analyse n'a pas de réelle cohésion, mais on peut identifier le « programme fort » (défini par David Bloor) comme l'un des principes qui sont à son fondement, même si différents auteurs de la NSS reviendront dessus par la suite. Le programme fort pose plusieurs principes méthodologiques, et en particulier le principe de symétrie, selon lequel le sociologue doit expliquer par les mêmes types de causes les croyances « vraies » et les croyances « fausses ». Il est donc interdit de justifier la clôture d'une controverse par la plus grande véracité scientifique d'un énoncé par rapport à l'autre. Ce mouvement d'analyse se radicalisera, prenant appui sur les thèses constructivistes, et atteindra parfois des extrêmes dans la contestation de la structure scientifique, et de sa faculté à produire des propositions vraies sur le monde physique. C'est le cas de la théorie de l'acteur-réseau (Michel Callon, Bruno Latour), à laquelle Shinn et Ragouet s'opposent, entendant sortir de ce qu'ils qualifient de « nouvelle orthodoxie ».

4Dans le troisième chapitre, les auteurs proposent alors de résoudre cette bipolarisation du champ, par un modèle qui tienne compte de l'inscription de l'activité scientifique dans un contexte social, sans pour autant nier sa relative autonomie à l'égard des phénomènes sociaux. Pour cela, les deux auteurs identifient quatre régimes coexistants de fonctionnement de l'activité scientifique et technologique. Le régime disciplinaire (formation et fonctionnement interne de disciplines) a été le plus analysé. Le régime utilitaire voit l'activité scientifique et technique soumise à une demande socio-économique, et rassemble des acteurs issus d'horizons divers (techniciens, ingénieurs, experts, etc.). Ce régime a été beaucoup analysé par la NSS, qui y voit la preuve de l'inclusion de l'activité scientifique dans la société. Le régime transitaire correspond au passage momentané d'un chercheur d'une discipline à l'autre, en fonction des besoins informationnels qu'il rencontre. Plus difficile à analyser, l'importance de ce régime a été nettement sous-estimée. Enfin, le régime transversal correspond à l'activité de certains praticiens, qui travaillent sur l'appareillage technique des sciences, plutôt que sur la compréhension du monde naturel. Ils circulent d'un groupe à l'autre, proposant des outils « génériques » pouvant être utilisés par plusieurs groupes à la fois, selon des objectifs de recherche différents. Le régime transversal diffère du régime transitaire en ce qu'il met en place des mouvements beaucoup plus nombreux et variés : les acteurs du régime transversal n'appartiennent pratiquement à aucune discipline en particulier, mais à un sous-champ appelé « technico-instrumental ». L'élément important dans ce régime est donc l'instrumentation produite, et non un savoir sous forme de propositions.

5Selon Shinn et Ragouet, c'est ce dernier régime qui permet d'expliquer l'universalisation des résultats scientifiques. En effet, les instruments génériques véhiculent des principes « décontextualisés », indépendants d'un usage particulier. Ces principes sont recontextualisés par les différents usages qui sont faits de l'instrument générique, usages au cours desquels émerge une « universalité pratique ». L'instrument catalyse en effet un certain nombre d'images, de façons de parler, et de paradigmes technico-scientifiques : on assiste ainsi à des phénomènes de convergence intellectuelle. Ces phénomènes renvoient à l'universalité pratique, qui est donc une production sociale et technique permettant d'unifier un champ scientifique atomisé. Shinn et Ragouet montrent ainsi le souci de mettre en lumière les mécanismes sociaux à l'œuvre dans l'élaboration des connaissances scientifiques, mais aussi la neutralisation de ces mécanismes par la production d'une forme d'universalité socialement définie.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Mathieu Quet, « Terry Shinn, Pascal Ragouet, Controverses sur la science. Pour une sociologie transversaliste de l'activité scientifique », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 10 janvier 2006, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/251 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.251

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