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Olivier Favereau, Les avocats, entre ordre professionnel et ordre marchand

Jean Finez
Les avocats, entre ordre professionnel et ordre marchand
Olivier Favereau (dir.), Les avocats, entre ordre professionnel et ordre marchand, Lextenso éditions, 2009, 221 p., EAN : 9782359710014.
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Texte intégral

1L'ouvrage, qui est un rapport de recherche commandé par le Conseil national des Barreaux, est le fruit d'un travail pluridisciplinaire - mêlant les approches économiques hétérodoxes ainsi que la sociologie économique et néo-structurale - en vue d'étudier une profession juridique : la profession d'avocat. L'objectif de ce rapport est d'interroger les effets de la libéralisation du secteur : Quelle seraient les conséquences économiques d'une déréglementation des services juridiques en France telle que la souhaite la Commission européenne ? Le passage d'un Ordre des avocats à un Marché des avocats se ferait-il au bénéfice ou au détriment des « consommateurs » de services juridiques ? Quels sont les effets sur la qualité du service ? L'apport de cet ouvrage est de montrer que les instances européennes s'intéressent surtout au facteur prix et mettent de côté ou analysent mal la question de la qualité, qui constitue pourtant une dimension importante de l'équation.

2Le rapport se compose de deux parties. La première partie regroupe un texte synthétique d'une vingtaine de pages reprenant les grandes conclusions du rapport. La seconde partie du livre est divisée en cinq analyses, décomposées en autant de chapitres que nous présenterons par la suite. En outre, on trouvera in fine une annexe méthodologique présentant le guide d'entretien utilisé pour interroger les avocats interviewés. En effet, contrairement aux approches économiques standard, les auteurs du rapport (qui sont principalement des économistes de l'école des conventions), ont choisi de s'appuyer essentiellement sur des matériaux de type qualitatif - entretiens semi-directifs et ouverts, analyses critiques de rapports de recherche commandés par la Commission européenne, etc.

3La première partie confronte l'analyse et le discours normatif des instances européennes à littérature économique. La Commission européenne enjoint les Etats membres de l'UE à promouvoir la « modernisation » du marché des avocats et, d'une manière plus large, des professions juridiques, en intensifiant la concurrence, c'est-à-dire en supprimant certaines règles qui régissent la profession. Ceci permettrait, si l'on suit la logique de Bruxelles, de baisser le prix des services juridiques. Or, selon les auteurs, la perspective adoptée par la Commission est contraire aux enseignements de la théorie économique. Pour défendre son propos, la Commission européenne s'appuie sur un rapport (le rapport IHS) hautement contestable, car reposant sur un faible cadre théorique et proposant une analyse des résultats si ce n'est partiale, du moins partielle. Ainsi, par exemple, la grille de lecture de la Commission européenne tend à montrer que la réglementation française est susceptible de favoriser l'existence de cartels alors même que, d'un point de vue économique, la profession d'avocat ne vérifie pas les hypothèses nécessaires à la formation et à la pérennisation de telles entraves au marché.

4La deuxième partie s'intéresse au rôle des réseaux sociaux non marchands dans le contrôle de qualité du travail des avocats. Les auteurs rappellent que la profession d'avocat est organisée de manière collégiale et qu'elle a besoin de réseaux sociaux informels pour pouvoir fonctionner convenablement. En effet, certains liens non professionnels (par exemple les liens d'amitié) existant entre les avocats jouent le rôle de support de liens d'échange professionnels (conseil, expertise, etc.) permettant de facto la mise en place d'un travail invisible - mais généralisé ! - de coopération. Ces liens informels nécessitent un fort investissement en termes de temps, ne serait-ce parce qu'il faut entretenir ses relations. Ce sont des coûts cachés nécessaires à la qualité du service juridique, mais qui sont complètement ignorés par la Commission européenne lorsqu'elle s'intéresse au travail des avocats. Autrement dit, réduire la profession d'avocat au statut de marché d'un service quelconque, c'est ignorer que les services juridiques bénéficient largement de l'encastrement des relations professionnels dans d'autres types de relations sociales : les rapports entre les avocats relèvent plutôt du modèle de coopétition (compétition et coopération) que de celui de concurrence.

5Le troisième chapitre rappelle que le métier d'avocat ne consiste pas simplement à suivre fidèlement le droit. Il est vrai que certaines tâches sont routinières et peu enrichissantes d'un point de vue intellectuel, mais l'analyse des entretiens montre qu'une large place est donnée à l'« inventivité juridique ». L'avocat se perçoit comme un écrivain privé qui a son style, sa propre « personnalité », qu'il exprime bien entendu dans un cadre juridique donné. Mais ce cadre juridique, qui dépend lui-même du cadre national dans lequel il s'insère, n'est pas figé ; bien au contraire. Les avocats, de par leurs activités, participent eux-mêmes à la transformation du droit et, ce faisant, apportent leur contribution à la construction d'un bien commun : l'Etat de droit. Par conséquent, libéraliser le marché des services juridiques reviendrait à altérer de manière durable la dynamique d'un système qui a fait ses preuves.

6Dans le quatrième chapitre, les auteurs montrent les spécificités du marché des services juridiques par rapport à d'autres marchés de services plus classiques. Le travail de l'avocat ne se résume pas à satisfaire à tout prix la ligne de conduite édictée par le client ou à se fier aveuglément aux discours passionnels des plaignants. L'avocat cherche plutôt à interroger son client afin de comprendre « ce qu'il veut vraiment » ; ainsi pourra-t-il vraiment défendre ses intérêts. Néanmoins, le travail de l'avocat consiste également à dépasser la satisfaction microéconomique du client au bénéfice d'un intérêt macroéconomique, celui de la société prise dans son ensemble. En transformant l'ordre professionnel en ordre marchand, l'équilibre macro-micro disparaîtrait au profit de la seule défense des intérêts individuels et donc au détriment de la collectivité. Ce qui tient la balance en équilibre, c'est la capacité de l'ordre professionnel à opérer un travail de réflexivité.

7Le cinquième chapitre s'interroge sur les effets de la déréglementation sur le marché du travail de la profession d'avocat et, plus particulièrement, son impact sur les trajectoires professionnelles des jeunes avocats. Car cette question - pourtant cruciale - a largement été ignorée par la Commission européenne. La carrière professionnelle d'un avocat se déroule en général en deux temps. Durant les premières années, l'avocat travaille dans un cabinet en tant que collaborateur. Puis, sept ou huit années après le début de sa carrière, l'avocat devient associé ou s'installe à son propre compte. La libéralisation du marché des avocats entraînerait la profession dans une logique d'un tout autre ordre : l'intensification de la concurrence et la logique des coûts minimum viendraient, en effet, remettre en cause d'une part le modèle de formation au métier d'avocat et, d'autre part, les processus de carrière ascendante.

8Nous n'avons présenté ici que les grandes lignes d'un rapport dense et parfois complexe, car faisant appel à la fois à des concepts sociologiques et économiques. Cet ouvrage stimulant montre que le principe de modernisation des services juridiques par la déréglementation ne tient pas à l'épreuve du terrain et à une véritable confrontation avec la théorie économique. A la suite de l'approche adoptée par les auteurs, on pourrait imaginer des recherches s'intéressant à d'autres secteurs d'activité déjà déréglementés ou en voie de libéralisation. Prenons l'exemple du secteur ferroviaire : depuis le milieu des années 1990, l'Union européenne s'est lancée dans une politique de « revitalisation » du secteur ferroviaire dont l'une des caractéristiques est l'ouverture progressive du marché à la concurrence, annonçant de fait la fin du monopole des opérateurs historiques nationaux. En étudiant le marché ferroviaire, on en viendrait probablement à des conclusions similaires à celles développées par les chercheurs concernant le marché des services juridiques : (i) pour la Commission européenne, la question des coûts occupe une place plus importante que celle de la qualité et, ici, de la sécurité ; (ii) les instances européennes semblent davantage agir par idéologie que pour des raisons purement économiques. Par conséquent, si ce n'est pas déjà le cas, il est fort probable que la déréglementation aura un effet néfaste sur la qualité et la sécurité des services de transport ferroviaire.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean Finez, « Olivier Favereau, Les avocats, entre ordre professionnel et ordre marchand », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 07 juin 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/1035 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.1035

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Rédacteur

Jean Finez

Doctorant en sociologue, univ. Lille 1

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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