Par Igor Martinache
On ne répétera sans doute jamais assez que le corps est une construction sociale, que ce soit envisagé du point de vue des rapports sociaux de genre ou même de la maladie, ainsi que le rappelle par exemple Roland Pfefferkorn dans un récent ouvra [1].
Mais ce n’est pas tout, plus qu’un lieu d’inscription des inégalités et un instrument de domination, le corps peut littéralement représentuer une arme parmi les plus redoutables. On peut songer au développement dramatique des attentats-suicides, mais aussi au viol comme arme de guerre [2].
Le reportage que propose ce soir la chaîne franco-allemande permet ainsi de constater concrétement les effets de cette tactique guerrière. La réalisatrice a en effet séjourné pendant quatre semaines l’hôpital local de Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu, en République Démocratique du Congo.
Les femmes qui sont soignées dans cet établissement le sont aussi bien pour leurs blessures physiques que psychologiques.
Susanne Babila y a donc rencontré et accompagné trois femmes victimes de ces "viols de guerre" : Ndamosu M’Buefuh, 70 ans, violée plusieurs fois, dont le mari et les cinq enfants ont été assassinés ; Ntakobajira M’Bisimwa, 30 ans, qui a été esclave sexuelle dans un camp de rebelles ; Noella M’Mburugu, 18 ans, qui a subi pendant trois ans des sévices sexuels et à qui on a enlevé le fils.
Trois femmes qui livrent un échantillon de ces milliers de victimes "oubliées" des conflits et trafics qui ravagent la région orientale de ce pays dont le très riche sous-sol suscite de nombreuses convoitises. Face à la caméra, elles racontent leur histoire, leurs états d’âmes et confient leur appréhension à l’idée de devoir rentrer dans leurs villages respectifs. Un documentaire édifiant sur une pratique à bien des égards révélatrice d’un certain état du monde, mais aussi des rapports de genres, là-bas comme ici. Car, loin de se résumer aux seuls rapports interindividuels, les violences, et notamment celles qui sont commises envers les femmes [3] -et dont les viols de guerre n’incarnent sans doute qu’une manifestation extrême-, sont bel et bien les révélatrices mais aussi les instruments de rapports de domination persistants.