Par Eric Keslassy [1]
Christophe Voilliot nous propose ici une retranscription de son cours d’introduction à la science politique donné à l’Université de Nanterre. Le propos est donc éminemment pédagogique. Cet ouvrage met ainsi à la disposition du plus grand nombre une synthèse des travaux existants sur les questions classiques abordées par la science politique : l’ordre politique, la participation politique et, enfin, l’action publique.
En ce qui concerne l’ordre politique, Christophe Voilliot nous renseigne sur la naissance de l’Etat moderne et s’interroge sur la pertinence même du concept d’Etat. Une bonne approche de l’Etat peut se trouver sur un terrain juridique : trois critères permettent alors de le définir. 1) Un territoire déterminé par des frontières et qui relève de plusieurs dimensions (sol, sous-sol, espace aérien, eaux). Or, aujourd’hui, la frontière se trouve affaiblie sous l’effet conjugué de plusieurs facteurs : la mondialisation qui intègre les économies d’Etat différent ; l’intégration économique (comme l’ALENA) ou l’intégration économique et politique (comme l’UE). 2) La population qui se soumet au droit de l’Etat : la nation qui apparaît d’abord comme une construction politique, dont la fonction est de garantir la cohésion sociale et de faire respecter l’autorité de l’État. Pour ces raisons, l’idée de nation est elle-même liée à l’histoire de chaque pays. 3) Un pouvoir qui, selon Max Weber, « détient le monopole de la violence légitime ».
Toujours dans l’ordre politique, Christophe Voilliot nous propose de revenir sur la notion de « champ politique » introduite par Pierre Bourdieu. Il s’agit d’un marché oligopolistique dominé par quelques agents qui tentent de conserver leur position (stratégie de conservation), en renforçant la norme commune (le « cela va de soi »), face au plus grand nombre qui se lance dans une lutte pour la conquête des positions dominantes (stratégie de subversion) en essayant de dévaluer la norme commune. Au départ, le capital politique est donc distribué de manière très inégale. C’est ainsi que n’importe qui peut se présenter à une élection, il suffit quasiment de le vouloir, mais chacun ne trouve pas d’intérêt à le faire ou du moins à faire de la politique. Cet intérêt varie selon l’habitus individuel (capacités individuelles et histoire personnelle), familial (pression du groupe, socialisation…) ou de classe (pratique politique valorisée).
En ce qui concerne la participation politique, l’auteur revient notamment sur la thématique de l’action collective (paradoxe d’Olson) et analyse longuement la politique électorale autour des comportements électoraux, des partis politiques et de la communication (médias et sondages). C’est ainsi que les modèles explicatifs du vote sont à la fois rappelés et discutés et que les structures politiques sont décryptés. Mais nous avons choisi de nous attarder sur la question des médias qui renvoie tout aussi bien à l’ensemble des techniques de production et de transmission de message à l’aide d’un canal vers un terminal qu’à l’organisation économique, sociale et symbolique qui traitent et utilisent ces messages. Avec le développement des médias de masse tout au long du 20ème siècle, la presse, la radio et la télévision sont devenus successivement des relais privilégiés entre le personnel politique et les citoyens. S’il ne faut pas tomber dans le média-centrisme, force est de constater l’importance de ce « quatrième pouvoir ». Il demeure que les travaux de l’Université de Columbia dirigés par Paul Lazarfeld au cours des années 40 et 50 vont rappeler que l’individu est le produit d’une socialisation antérieure à la réception du message. Aussi, le récepteur de l’information n’est pas un être passif qui intègre sans réagir le message médiatique : il y aurait plutôt une exposition, une perception et une mémorisation sélectives. Dans cette perspective, les médias joueraient davantage un rôle d’activation et de confirmation des opinions préexistantes plus que de conversion.
Enfin, l’action publique permet à Christophe Voilliot d’alimenter le débat sur la professionnalisation de la politique. Il est ici intéressant de noter le changement de paradigme : alors qu’il était convenu de ne pas considérer la politique comme un métier, mais plutôt comme une vocation désintéressée au service de l’intérêt général, les acteurs politiques insistent de plus en plus sur leur nécessaire professionnalisation au nom des compétences. Néanmoins, cela ne réduit pas l’idée que la démocratie est dirigée par une minorité professionnalisée déconnectée des réalités et homogène socialement.
Eléments de science politique est un livre riche et instructif : il mêle à la fois les nécessaires rappels théoriques et leur utilisation en prise avec l’actualité. Le ton pédagogique permet de toujours saisir les considérations complexes qu’il s’avère toutefois absolument crucial de maîtriser lorsqu’on souhaite décrypter notre vie politique.