Navigation – Plan du site

AccueilLireLes comptes rendus2011Isabelle Darmengeat, Amants des h...

Isabelle Darmengeat, Amants des hommes

Laure Célérier
Amants des hommes
Isabelle Darmengeat, Amants des hommes, La Famille digitale, 2009.
Haut de page

Notes de la rédaction

L'auteure du documentaire souhaite préciser que les personnages sont cités dans le générique du film avec leurs engagements associatifs : Bruno Gachard pour le "Mémorial de la Déportation Homosexuelle", Christophe Malvault pour l'association "En Tous Genres", Norbert Vincent pour le Collectif "Toutes Les Différences"

Texte intégral

1« Lorsque l’outrage public à la pudeur consistera en un acte contre-nature avec un individu de même sexe, la peine sera l’emprisonnement », établit l’article 331 du Code Pénal français de… 1960. Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, la France reprend la législation homophobe vichyste, alors même que l’homosexualité avait été décriminalisée sous Napoléon. Sous la présidence du Général de Gaulle, le droit français aggrave la loi du 06 aout 1942, qui condamnait les relations homosexuelles avec un mineur de moins de vingt-et-un ans. Comment comprendre la persistance des persécutions homophobes au lendemain d’un conflit mondial, dont l’Europe est censée être ressortie honteuse et prostrée, alors que la barbare intolérance et la cruauté des extrémistes, nazis en particulier, avait causé la mort de millions de personnes? Et comment, aujourd’hui, colporter la mémoire de cette déportation, alors que le seul homosexuel déporté acceptant de témoigner, Pierre Seel, est décédé en 2005 ? Le documentaire d’Isabelle Darmengeat, diffusé en 2004, intitulé, en hommage à André Sarcq, Amants des hommes, reprend des extraits de l’autobiographie de Pierre Seel et présente les témoignages de trois homosexuels, Bruno Gachard , Christophe Malvault et Norbert Vincent. Il apporte un éclairage pertinent et touchant sur la question de la déportation des homosexuels, et celle, plus large, de l’homophobie.

2Pierre Seel, déporté à l’âge de dix-huit ans en camp de concentration, est décédé en 2005. Il est le seul des deux-cent dix déportés français pour motif d’homosexualité à témoigner à visage découvert et a écrit son autobiographie, intitulée Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel, parue en 1994. Des extraits de cet ouvrage, témoignant non seulement de l’expérience de la déportation, mais aussi des tortures endurées, avant la déportation, dans les locaux de la Gestapo, structurent le documentaire. Mais comment expliquer que seul ce témoignage soit disponible ? Les autres déportés, se demande Pierre Seel dans son autobiographie, « Pourquoi tous se [taisent]-ils aujourd'hui ? Sont-ils donc tous morts ? » A vrai dire, Pierre Seel connaît la réponse : les autres ne veulent témoigner, par peur de « réveiller d’atroces souffrances », comme il l’écrit ; ils se taisent pour mieux oublier leur déportation, voire leur homosexualité. Le retournement contre soi de la haine homophobe vichyste et nazie semble ici flagrant, rendant les homosexuels doublement victimes de la barbarie nazie : par expérience de la déportation, et par l’oubli de cette expérience, lié éventuellement à une culpabilité. Les homosexuels peuvent aussi taire une expérience de la déportation par peur de révéler leur orientation sexuelle et endurer de nouvelles persécutions : comme le rappelle Isabelle Darmengeat dans un entretien réalisé en 2008 pour le site internet Les toiles roses1 , « jusqu’en 1981, l’homosexualité était répréhensible par la loi et se déclarer déporté homosexuel, c’était prendre le risque d’encourir des sanctions judiciaires. » Les homosexuels connaissent donc une « mémoire sans histoire », sans histoire reconnue, comme l’avait énoncé Serge Barcellini, qui ne peut pas s’expliquer uniquement par la faiblesse numérique du nombre de déportés.

3Il est grand temps de réfléchir aujourd’hui à la proximité entre la culture homosexuelle et la mort, dramatique trame de l’histoire homosexuelle, qu’il s’agisse d’une mort en déportation ou d’une mort liée au SIDA, hécatombe des années 1980. Mais comment construire cette histoire homosexuelle, sans quasiment d’archive, et aujourd’hui sans témoin, alors même que l’homosexualité était considérée par l’OMS comme une maladie jusqu’en 1993, et qu’elle ne fut dépénalisée en France qu’en 1982 ? L’oubli et la négation des persécutions d’hier sont un terreau bien fertile à l’expression actuelle de l’homophobie. Aujourd’hui, c’est souvent un silence complaisant qui répond à des propos homophobes. Quel discrédit fut jeté sur Robert Ménard, soutenant comme Christine Boutin, la censure du dessin animé Le baiser de la lune, à but éducatif, destiné à des élèves de l’école primaire, exposant deux poissons homosexuels amoureux l’un de l’autre, dont la pire obscénité était de se frôler les écailles à l’écran2  ? Qu’a subi Gérard Longuet après s’être étonné publiquement que l’école combatte la pédophilie, alors que « l’on promeut (…) de nouvelles formes de sexualité à l’école »[http://www.lemonde.fr/​societe/​article/​2008/​11/​12/​quand-gerard-longuet-ump-compare-l-homosexualite-a-la-pedophilie_1117598_3224.html]] ? Quelle sanction a été infligée à Christian Vanneste, qui a apporté une réponse positive à la question : « les homosexuels sont-ils nuisibles à l’intérêt général ? »3 . La liste de ces déclarations publiques homophobes non suivie d’une quelconque indignation ou d’un nécessaire débat public sur la question de l’homosexualité et de l’homophobie, pourrait être plus longue. L’absence de condamnation de tels propos légitime en retour l’homophobie.

4L’oeuvre d’Isabelle Darmengeat, alternant des témoignages ainsi que des lectures d’extraits de l’ouvrage de Pierre Seel, est persuasif et convainc de la nécessité de la lutte contre l’homophobie, trop souvent et scandaleusement acceptée comme une « homophobie ordinaire». Un simple bémol : quel est l’engagement associatif ou militant des homosexuels intervenant dans le documentaire? L’identité de ces trois personnages clés n’est révélée que dans le générique de fin, et il aurait été intéressant d’en savoir plus sur eux, dans la mesure où ils n’ont sans doute pas été choisis par hasard. Reste que ce documentaire est incontestablement un outil très utile pour tout enseignant désireux d’aborder cette question en cours, dans le cadre d’une étude sociologique des normes et de la déviance, comme illustration d’une étude sur les mouvements sociaux, ou enfin en tant qu’exemple historique sur les persécutions de la Seconde Guerre Mondiale. Il apporte enfin un éclairage important concernant les luttes et les enjeux autour des commémorations historiques : parmi les persécutés de la Seconde Guerre Mondiale, les homosexuels comptent certainement parmi ceux qui ont le moins su et pu imposer la commémoration de leur malheur.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Laure Célérier, « Isabelle Darmengeat, Amants des hommes », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 23 février 2011, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/1290 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.1290

Haut de page

Rédacteur

Laure Célérier

Professeure agrégée de sciences économiques et sociales - Université Paris Est-Créteil - IUT de Fontainebleau.

Articles du même rédacteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search